CHAPITRE XIII

Le croiseur volait à une lieue spatiale au-dessus de la dérivelle.

Le Vioter jouait sans cesse avec les manettes de pilotage et balançait le petit appareil d’un côté sur l’autre pour ne pas rester dans la ligne de mire du vaisseau du Jahad. La dérivelle gîtait comme un bateau sur une mer en furie.

Crista, Raphanul et les eunuques se cramponnaient aux diverses excroissances métalliques du compartiment, poutrelles, ridelles ou pieds des banquettes, pour ne pas perdre l’équilibre. Seule Silène avait basculé sur le plancher. Comme elle avait les pieds et les mains liés, elle ne pouvait rien faire pour enrayer ses glissades. Les turbulences la ballottaient d’un point à l’autre et sa tête, ses épaules ou son bassin heurtaient durement les plinthes épaisses des cloisons. Des corolles pourpres s’épanouissaient sur son front et le haut de sa robe.

— Tout ça ne sert à rien, Rohel Le Vioter ! hurla-t-elle en vomissant un flot de sang. Les bombes à propagation lumineuse sont équipées d’un système de guidage automatique… Nous allons tous mourir !

Un eunuque lâcha la ridelle à laquelle il se tenait, la saisit au passage par les cheveux et leva sa dague. Une nouvelle secousse les projeta tous les deux vers le fond du compartiment.

Elle grimaça et lui cracha au visage.

— Tue-moi, gros ver ! Tue-moi donc ! Je te promets de t’attendre et de t’accompagner en enfer…

— Non, riposta l’eunuque. Tu vas savoir ce qu’est la souffrance pendant les quelques secondes qui te restent à vivre.

Il la bloqua contre la cloison et, d’une main, s’agrippa à un orifice de ventilation. De l’autre il retroussa sa robe, la dénuda jusqu’à la taille et approcha la pointe de la lame de son bas-ventre. Elle sursauta lorsqu’elle sentit le métal froid s’insinuer entre ses cuisses.

Raphanul-Le-Vif bondit comme un fauve sur le râble de l’eunuque. Les trois corps enchevêtrés composèrent un éphémère et étrange bouquet de membres gesticulants. Un soubresaut de la dérivelle les envoya rouler tous les trois au milieu du compartiment. L’eunuque laissa échapper sa dague qui percuta le socle du tableau de bord. Raphanul, livide, tremblant, fut le plus prompt à se relever. Il s’agenouilla, dégaina son poignard et, les yeux injectés de sang, se dressa devant la petite sœur Zadria.

— Le premier qui la touche, je l’égorgé !

— Pauvre fou, elle t’a utilisé pour entraîner les tiens à leur perte, siffla l’eunuque.

Le croiseur se rapprochait inexorablement. Crista apercevait à présent les linéaments sombres qui se découpaient sur le fond plat et gris de son fuselage. Dans quelques secondes, ces trappes s’ouvriraient, expulseraient un ou plusieurs missiles dont la propagation lumineuse les désintégrerait. Les doigts de l’holoïste se crispaient sur le mémodisque. Les images fantastiques qu’elle avait captées, un témoignage unique sur les errants de l’espace, allaient se disperser à jamais dans le vide. Elle ne regrettait pas d’avoir organisé cette expédition – elle assumait les risques du métier d’holoïste –, elle était seulement en proie à un sentiment d’absurde gâchis. Une boule oppressante se forma dans sa gorge.

Son attention fut soudain attirée par une balafre sombre au-dessus du croiseur. À cet endroit, l’espace était agité de mouvements convulsifs, il paraissait se plisser, se gondoler, se tordre sur lui-même. Les bords de la faille s’écartèrent et formèrent une bouche noire semblable à l’entrée d’un tunnel. Ce phénomène rappela à Crista les orages magnétiques d’Agondange. Ils s’annonçaient de la même façon : des bouches noires criblaient subitement la plaine céleste grise et mordorée et, quelques minutes plus tard, se mettaient à cracher des éclairs destructeurs d’une éblouissante clarté. Elle ne s’était jamais intéressée aux bizarreries climatiques de la planète des grands médias. Elle ne s’était pas demandé, par exemple, d’où venaient ces orages et cette énergie magnétique à très haute densité. Elle réalisa que la réponse à cette question se trouvait sous ses yeux.

Un premier éclair déchira le velours sombre de l’espace. Puis il en vint d’autres, surgissant des innombrables bouches qui s’ouvraient autour des deux vaisseaux. Les lignes étincelantes et brisées se chevauchaient, se superposaient, tissaient un filet sans cesse renouvelé de lumière.

— Est-ce que cet engin est équipé d’un bouclier antimagnétique ? demanda Crista.

— Bien sûr que non, répondit Le Vioter. À l’époque où il a été construit, on ne disposait pas de ce genre de technologie.

— Si un seul de ces éclairs nous touche, nous serons réduits en cendres !

— Bah, ça ou une bombe à propagation lumineuse…

Au moment où il prononçait ces mots, une formidable déflagration embrasa l’espace. La dérivelle fut prise dans une épaisse nuée de particules enflammées. Des éclats incandescents crissèrent sur le fuselage, sur les hublots et sur la baie de pilotage.

— Le croiseur ! Il a été touché ! s’exclama Crista.

Du vaisseau du Jahad, ne subsistait plus qu’une carcasse qui achevait de se consumer dans l’espace.

Un éclair jeta une lueur livide à l’intérieur du compartiment, frôla la coque rebondie de la dérivelle. Les masses compactes, et particulièrement les masses métalliques, attiraient l’énergie magnétique comme un aimant. Le Vioter scruta attentivement les entrées des tunnels énergétiques. Il remarqua que les éclairs ne jaillissaient pas en désordre comme il l’avait cru dans un premier temps. S’ils donnaient une telle impression de confusion, de chaos, c’était d’une part parce que leurs lignes étaient brisées et d’autre part parce qu’ils se renouvelaient avant d’avoir eu le temps d’accomplir l’intégralité de leur trajet. Les tunnels les projetaient toujours dans la même direction et à intervalles réguliers, comme des canons à ondes lumineuses braqués sur un invisible objectif. Il vit qu’une seule bouche était pointée sur la dérivelle.

Une nouvelle coulée de lumière s’insinuait dans le sillage faiblissant de l’éclair qui les avait manqués. Il la laissa encore approcher puis, au dernier moment, tira la manette directionnelle vers la gauche. Une brutale embardée jeta le petit vaisseau sur le flanc. Rohel s’accrocha fermement à la manette pour ne pas perdre l’équilibre. Raphanul et Silène rebondirent sur le haut de la cloison et sur les ridelles avant de s’écraser sur le plancher. Une langue éblouissante lécha tout l’intérieur du compartiment. L’éclair transperça l’emplacement où, quelques secondes plus tôt, s’était tenue la masse métallique promise à son appétit de feu. Le changement de cap de la dérivelle avait été tellement soudain qu’il avait été dans l’incapacité d’infléchir sa trajectoire.

Le Vioter redressa aussitôt la dérivelle. Le tunnel énergétique avait déjà réajusté sa mire et envoyé une nouvelle salve.

*

Contrairement à l’orage magnétique de quelques minutes auquel Rohel avait assisté sur Agondange, la tempête spatiale dura des heures. D’interminables heures pendant lesquelles, tétanisé devant la baie, les yeux rivés sur la voûte céleste éclaboussée de lumière, couvert de sueur de la tête aux pieds, il livra une harcelante partie de cache-cache avec les éclairs.

Il disposait d’une dizaine de secondes entre chaque salve. Il attendait que les zébrures menaçantes se soient suffisamment approchées de leur objectif pour changer de cap. Il ne fallait surtout pas leur laisser le temps de corriger leur trajectoire.

Le ballet démentiel auquel était soumise la dérivelle n’arrangeait pas son état : de la partie inférieure de son fuselage, entièrement disloquée, ne restaient que quelques éléments de l’armature et des ridelles à claire-voie. La fatigue consécutive à la tension nerveuse et au poison du Jahad commençait à gagner Le Vioter. Il se secouait de temps à autre pour garder sa concentration. Il ne percevait plus la subtile vibration de son changetemps. Il en avait deviné la cause : le parasite, encore à l’état larvaire et donc dépourvu de défenses immunitaires, s’était empoisonné avec son sang.

Les autres, plus morts que vifs, s’étaient recroquevillés sur les banquettes, y compris Silène, que Raphanul avait hissée à ses côtés. À chaque ruade du petit vaisseau de secours, ils avaient l’impression de s’abîmer dans un gouffre sans fond. Aucun d’eux ne se hasardait à jeter un coup d’œil sur le hublot. Ils préféraient ne pas savoir à quel moment viendrait le coup de grâce.

La cadence des éclairs augmenta subitement, comme si les éléments célestes perdaient tout à coup patience, comme s’ils décidaient d’en finir une bonne fois pour toutes avec cette ridicule sphère à moitié démantelée qui s’acharnait à leur échapper. Le Vioter décida de jouer son va-tout : il imprima un mouvement continu de rotation à la manette de direction. La dérivelle, prise de folie, incontrôlable, partit en vrille et s’enfonça dans une spirale descendante dont les bords allèrent sans cesse en s’élargissant. En général, les navigants évitaient ce genre de manœuvre désespérée : il n’y avait pratiquement aucune chance de redresser un vaisseau en torche et les fuselages ne résistaient que quelques minutes aux trépidations.

De larges pétales brillants s’épanouirent autour du petit appareil et zébrèrent le compartiment d’éclats aveuglants. Le Vioter banda tous ses muscles et s’arc-bouta sur la manette. Les autres furent éjectés des banquettes, se télescopèrent mutuellement et percutèrent les cloisons de plein fouet. Un flot de sang jaillit de l’arcade sourcilière éclatée de Crista.

L’orage magnétique se calma aussi soudainement qu’il s’était déchaîné. Les éclairs s’espacèrent de plus en plus, les bouches des tunnels énergétiques se refermèrent et l’immensité céleste recouvra sa sérénité bercée d’étoiles.

— On dirait que l’orage s’est arrêté ! s’écria Crista.

Brinquebalée d’un coin à l’autre du compartiment, elle semait des taches pourpres un peu partout dans son sillage.

Le Vioter tira très lentement sur la manette. Surtout éviter de brutaliser la dérivelle dont tous les composants martyrisés, agonisants, grinçaient de concert. Elle cessa peu à peu de tournoyer. Il déclencha alors l’ouverture du bouclier antidérive du sommet. Le petit volet stabilisateur se déploya dans un claquement bref. La dérivelle oscilla un long moment sur son axe, vibra de manière inquiétante, mais elle tint le choc. Le Vioter estima le moment venu de sortir les autres boucliers. Le petit vaisseau, freiné par ses ancres stabilisatrices, parcourut encore une lieue spatiale en piqué puis, après un dernier soubresaut, finit par s’immobiliser.

Exténué, en sueur, Le Vioter poussa un soupir de soulagement et posa la tête sur le tableau de bord.

— Bon Dieu ! Ramai… comment cette fille t’a appelé, déjà ? Rohel Le Vioter, c’est ça ?

Sans prendre le temps d’essuyer le sang qui giclait de son arcade, Crista glissa ses bras autour de la taille de Rohel.

— Quel que soit ton nom, mon mari de fortune, je te bénis pour l’éternité.

*

La dérivelle progressait à faible allure vers la grosse boule jaune orangé de la Lune Noire des Miracles. Ils avaient mis la main sur la caisse de vivres séchés dont Silène avait eu la précaution de se munir – toujours la prudence des agents du Jahad – et s’étaient restaurés.

Le Vioter avait calculé le cap sur les cartes lumineuses du tableau de bord et programmé le vaisseau en pilotage automatique jusqu’à la stratosphère du satellite d’Agondange. Allongé sur la banquette, il tentait de reconstituer ses forces qu’il sentait décliner à mesure que s’écoulaient les heures. Ses veines étaient parcourues de frémissements glacés, signes avant-coureurs d’une recrudescence de l’activité du poison. Le visage de Saphyr emplissait tout son esprit. Seule l’image de la féelle d’Antiter le retenait de se laisser envoûter par les chants insistants des sirènes de l’au-delà.

Raphanul veillait farouchement sur Silène. Il avait tellement peur que les eunuques assassinent la jeune femme pendant son sommeil qu’il ne dormait plus. Les intouchables attendaient patiemment leur heure. Ils régleraient son compte à l’usurpatrice sur la Lune Noire, ils offriraient son sang au Golem, ils mangeraient les restes de son cadavre et ce n’était pas ce jeune Jadgë des clans purs qui les en empêcherait.

Le premier soin de Crista avait été de vérifier l’état de son mémodisque. Non seulement il fonctionnait, mais elle avait été sidérée par le visionnage de certaines images qu’elle ne se souvenait pas avoir captées. Il lui faudrait au moins deux semaines agondangiennes de travail pour donner un semblant de cohérence à cette succession syncopée de plans. Les eunuques, Raphanul et Silène avaient été ébahis lorsqu’ils avaient vu les reproductions holographiques s’élever au-dessus de la petite boîte noire. Ils s’étaient rendu compte, avec un mélange de curiosité et d’effroi, que chacune de ces poupées animées de lumière n’étaient autres que des représentations d’eux-mêmes.

L’holoïste s’approcha de la couchette où se reposait Le Vioter.

— Encore combien de temps avant d’arriver sur la Lune Noire ?

Il sourit : c’était la centième fois qu’elle lui posait la question.

— Environ un jour sidéral…

Elle s’accroupit et avança son visage tout près de celui de Rohel. Son souffle lui effleura les lèvres et le menton. La blessure de son arcade commençait à se cicatriser.

— Et… tu comptes vraiment rester sur ce caillou pelé ? Tu crois encore à cette histoire de dame Asmine d’Alba ?

— Je n’ai pas vraiment le choix.

— Et nous ? Comment retournerons-nous sur Agondange ? Je suppose que ce rafiot est incapable d’effectuer le voyage retour.

— Vous n’aurez qu’à utiliser le transmetteur de Silène pour lancer un appel. Il suffira de modifier les ondes d’émission. Et puis, si ça ne marche pas, la Lune Noire est habitable. Vous vous nourrirez de gibier ou de poisson jusqu’à ce qu’un vaisseau atterrisse et vous récupère. Maintenant que les Jadgë ont disparu, les voies vont se rouvrir entre Agondange et son satellite.

— Je n’ai pas envie de moisir dans ce trou.

— C’est vrai, ta carrière… Encore faut-il que la dérivelle supporte réchauffement de la stratosphère.

Elle glissa la main dans l’échancrure de la combinaison de Rohel et lui caressa le torse.

— Tu n’as toujours pas répondu à ma question : pourquoi t’es-tu engagé dans le Jahad ? Tu ne ressembles guère à ces fanatiques.

— J’ai mes raisons. Elles seraient trop longues à t’expliquer.

— Il y a une femme là-dessous, n’est-ce pas ?

Il n’eut pas le temps de répondre. Les lèvres de l’holoïste capturèrent agilement les siennes. Il ferma les yeux et s’abandonna à son baiser. Mais tant que dura leur étreinte, l’odeur et la saveur de Saphyr se superposèrent à celles de Crista. À travers l’holoïste d’Agondange, il embrassait la féelle d’Antiter.

Crista se déroba. La pointe de sa langue se promena sur ses lèvres luisantes. La tristesse assombrissait ses yeux gris-bleu.

— Elle a de la chance, soupira-t-elle.

*

Tremblant de fièvre, Le Vioter coupa le système automatique de guidage. Ils survolaient un continent désertique de la Lune Noire des Miracles, traversé de part en part par une haute chaîne montagneuse et bordé d’un océan émeraude. Les soleils jumeaux du Monde des Franges paraient l’horizon de somptueuses rosaces argentines et mordorées.

Le Vioter se demanda si le matériau du plancher, qui faisait désormais office de fuselage, supporterait la brutale montée de température engendrée par réchauffement. La seule chance qu’ils avaient de passer, c’était d’entrer dans les premières couches stratosphériques en rétropropulsion, c’est-à-dire par le sommet encore intact du vaisseau.

— Je vais être obligé de renverser la dérivelle, déclara-t-il.

Regroupez-vous tous autour de moi et accrochez-vous au tableau de bord.

Ils exécutèrent docilement son ordre, y compris Silène qui n’avait pourtant pas desserré les dents depuis la fin de l’orage et qui avait refusé de manger quoi que ce soit. Les eunuques n’avaient pas protesté lorsque Raphanul avait tranché ses liens. Tant qu’elle serait enfermée dans ce compartiment, elle ne pourrait pas leur échapper.

Les volets de protection occultèrent tous les hublots ainsi que la baie de pilotage.

— Cramponnez-vous ! dit Le Vioter.

Il inversa la propulsion. La dérivelle effectua un tour complet sur elle-même. Ils se retrouvèrent la tête en bas. Ils eurent besoin d’une dizaine de secondes pour s’accoutumer à cette position, d’autant plus inconfortable que le brusque afflux de sang leur meurtrissait le cerveau.

— Combien de temps va durer cette plaisanterie ? demanda Crista.

— À peu près cinq minutes sidérales, répondit Le Vioter.

Les moteurs nucléaires émirent un grondement assourdissant lorsque la dérivelle pénétra dans la stratosphère de la Lune Noire. Les lampes du plafonnier et les lumières du tableau de bord s’éteignirent les unes après les autres, plongeant le compartiment dans une obscurité opaque.

— Qu’est-ce qui se passe ? hurla Crista.

— Du calme, c’est normal. Les circuits se coupent automatiquement pour éviter les risques d’incendie.

La chaleur augmenta brutalement. Leurs mains en sueur, glissantes, eurent plus en plus de mal à se maintenir accrochées aux saillies du tableau de bord.

— Respirez le plus lentement possible.

— Je n’en peux plus… gémit Crista.

— Tiens bon ! l’encouragea Le Vioter. C’est bientôt fini.

Le compartiment se transforma rapidement en étuve. L’air brûlant leur mordait férocement les oreilles, le cou, les épaules. Ils avaient l’impression que leur peau se rétractait et noircissait comme une feuille de papier léchée par une flamme, que des épingles chauffées à blanc s’enfonçaient dans leur gorge, dans leurs poumons. Rohel réalisait maintenant ce qu’était le calvaire des hérétiques dans les fours à déchets. Ils restaient parfois quatre ou cinq jours en vie à l’intérieur de ces abominables mouroirs. Ils n’avaient qu’une hâte, c’était disparaître, oublier cette odieuse souffrance qui les rendait fous, mais les fours, réglés de manière à ce qu’ils agonisent le plus longtemps possible, leur refusaient le moindre instant de répit. Ébouillantés par leur propre sueur, ils se transformaient en monstres hideux et grimaçants que les badauds venaient contempler à travers les vitres.

Crista se sentait trop asséchée pour pleurer. La gorge et les poumons en feu, elle serrait sans s’en rendre compte le rebord métallique du tableau de bord. Elle n’était plus l’arrogante holoïste du HIG, elle n’était plus rien d’autre qu’une bulle de souffrance suspendue dans le vide et lardée de milliers de flèches incendiaires. Il lui semblait inhaler de la poix fondue à chaque respiration. Elle se fichait éperdument d’Agondange, du quartier des grands médias, de la gloire et de l’argent que lui rapporterait son reportage, elle voulait seulement que cesse, ne serait-ce qu’une seconde, cet effroyable supplice. Ils entendaient les crépitements des étincelles sur le fuselage. Un bruit identique à celui produit par des milliers de mandibules en train de broyer la peau séchée d’une carcasse.

La température décrut progressivement. Ce n’était pas encore l’agréable fraîcheur d’une nuit d’été, mais ils purent enfin prendre de profondes inspirations sans risquer de se calciner les poumons. Ils ruisselaient de sueur et rêvaient tous, qu’ils fussent jadgë ou goyë, de plonger dans l’eau glacée d’un torrent.

Le Vioter attendit que la chaleur s’atténue encore un peu, puis il enfonça la manette de rétropropulsion. La dérivelle réintégra sa position initiale et ils se campèrent de nouveau sur leurs jambes.

— Drôle d’attraction foraine, lança Crista en lâchant la saillie du tableau de bord.

Elle essuya ses mains en sang sur sa robe et esquissa un pas prudent sur le plancher, comme si elle craignait encore de se brûler les pieds.

Quelques instants plus tard, les volets protecteurs des hublots et de la baie de pilotage s’escamotèrent et la lumière du jour entra à flots dans le compartiment. Le Vioter coupa les moteurs. La dérivelle acheva sa descente en dérive silencieuse. Elle piqua droit sur un cirque naturel environné de hautes murailles rocheuses et traversé de part en part par un cours d’eau. Un vingtaine de secondes avant que le vaisseau ne touche la terre ferme, Rohel commanda le déploiement des boucliers latéraux. La dérivelle ralentit mais ne s’immobilisa pas. Attirée par la gravité, elle se posa en douceur sur le sol. Les quelques débris du compartiment inférieur se brisèrent comme de la paille sèche et le plancher crissa sur un lit de cailloux.

*

— Le goyë a promis que cette femme serait à nous ! gronda un eunuque.

Raphanul-Le-Vif et Silène tournaient le dos à l’ocre barrière rocheuse qui interdisait toute possibilité de fuite.

— Donne-nous cette femme ! répéta l’eunuque. Les tiens et les nôtres sont morts par sa faute. Le Golem réclame son sang.

Le vent violent qui soufflait sur le plateau soulevait de petits tourbillons de poussière. Il faisait chaud mais, en comparaison de l’enfer qu’ils avaient vécu dans la dérivelle, le temps leur paraissait clément. Des rapaces à l’immense envergure et aux têtes surmontées d’une crête rose planaient dans le ciel en émettant des trompètements rauques.

Le Vioter et Crista se tenaient à l’écart. Assise sur un rocher, l’holoïste observait attentivement les images confuses vomies par son mémodisque. Le Vioter, allongé au bord du cours d’eau, laissait vagabonder ses pensées. Une fièvre virulente le maintenait cloué au sol, il se sentait aussi faible qu’un nouveau-né : le poison du Jahad. Un peu plus loin se dressait la masse informe et noircie de la dérivelle. Ils avaient dû briser un hublot pour s’extirper de l’appareil désormais inutilisable.

— Tu ne vas rien faire pour sortir cette fille de là ? demanda Crista sans se retourner.

— Je n’en ai pas la force, répondit-il d’une voix hésitante.

Raphanul-Le-Vif comprit que la résolution des eunuques serait inébranlable. Il pourrait en tuer un, voire deux, mais les autres finiraient par avoir raison de lui. Il ne pensait pas à lui mais à Zadria : quelles abominations lui feraient-ils subir si elle tombait entre leurs mains ? Cette idée lui était insupportable. Il voulait garder le souvenir de la beauté intacte de la petite sœur Zadria. De sa petite sœur.

Il la contempla une dernière fois, butina du regard ses grands yeux noirs, ses longs cils, son nez fin et droit, ses lèvres pleines, sa chevelure de jais, la poitrine qui palpitait sous sa robe souillée de sang, son ventre qui n’avait daigné l’accueillir qu’une seule fois… Une immense détresse l’envahit et il laissa couler ses larmes. Elle comprit ses intentions et lui décocha un merveilleux sourire. Ailleurs, ils pourraient peut-être s’aimer.

Il leva son court poignard et l’enfonça sans hésitation sous le sein gauche de Silène. Puis il retira la lame ensanglantée et, tandis qu’elle roulait dans la poussière de la Lune Noire des Miracles, il se la planta dans le cœur.

*

Le Vioter, Crista et les quatre intouchables restèrent quelques jours ensemble. Les eunuques renoncèrent à leur idée de manger le cadavre de Silène, mais ils se révélèrent excellents chasseurs et ils ne manquèrent pas de nourriture. La fièvre déserta Rohel à l’issue de la troisième nuit. Ce n’était qu’un répit : le poison du Jahad continuait son travail de sape.

Les eunuques lui expliquèrent où se situait le sanctuaire de dame Asmine d’Alba :

— Sur l’île d’Alba. Au milieu de l’océan d’émeraude. C’est là que se déroulaient les cérémonies rituelles des pèlerinages.

Dans l’après-midi du cinquième jour, le vaisseau qu’ils avaient contacté par l’intermédiaire du transmetteur de Silène atterrit dans un nuage de poussière et de cailloux pulvérisés.

Le capitaine, un vieil homme bourru, se présenta comme étant un convoyeur de matières minérales rares.

— Pas de blague, la petite dame, vous m’avez promis vingt mille frangels pour le détour et j’espère que vous tiendrez parole ! Et… il faudrait peut-être que vous passiez une robe un peu plus décente, sinon je ne pourrai plus tenir mes hommes.

Il avait ajouté, lorsqu’il avait aperçu la carcasse de la dérivelle :

— C’est avec ça que vous avez échoué ici ? Pas raisonnable. Je n’en voudrais même pas pour voler au-dessus de cette montagne.

Les eunuques décidèrent de rester sur la Lune Noire. L’Église avait décimé leur clan, ils ne réussiraient pas à s’intégrer chez les culs-de-plomb, leur place était par conséquent sur le monde où résidait leur Golem.

Avant de s’engager sur la passerelle, Crista étreignit longuement Rohel.

— Tu peux encore changer d’avis. Il y a de bons médecins sur Agondange…

— Ils réussiront peut-être à te retirer ton changetemps. Le mien n’a pas voulu de moi : il m’a déjà quitté.

— Je ne t’oublierai jamais, sire Peu Importe. Dès mon retour sur Agondange, j’irai prendre un téchaé à ta santé. Avec ce forban de Tibi : je lui dois bien ça.

— Ton reportage va faire sensation…

— Au diable mon reportage, je suis amoureuse de toi, idiot !

Elle baissa la tête pour dissimuler ses larmes puis, sans se retourner, elle franchit la passerelle à grandes enjambées et disparut dans la pénombre du vaisseau.

La nuit venue, Rohel attendit que les quatre eunuques se soient endormis puis, muni de son seul poignard de compagnon de l’hypsaut, il prit la direction du grand océan d’émeraude.

Cycle de Dame Asmine d'Alba
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